« Sur la réforme de la facturation électronique, je conseille aujourd’hui aux PME d’anticiper en s’appuyant sur des partenaires experts. Ils vont leur permettre de structurer la donnée – obligation de la réforme -, mais surtout de l’intégrer à leur SI pour ensuite l’exploiter. »
Christian MARGRITA est DSI (Directeur des systèmes d’Information) externalisé. Son métier évolue à mesure que l’environnement IT se transforme. Nous lui avons demandé de porter son regard sur la transformation numérique en cours au sein des PME et en particulier la dématérialisation croissante des processus.
Bonjour Christian, pouvez-vous commencer par vous présenter ?
Christian MARGRITA : Depuis 30 ans, j’interviens dans la mise en œuvre de solutions logicielles (ERP), technologiques et organisationnelles pour répondre aux besoins métier. Directeur de projets puis DSI externalisé, j’ai opéré dans des contextes de croissance et de structuration de la DSI, ainsi que dans le cadre de crises et de restructurations.
Tout au long de ma carrière, j’ai évolué pour avoir une vision 360° de mon métier : le savoir-faire technique bien sûr, mais aussi l’accompagnement du client. Ce qui m’a amené à exercer différents métiers : de la production à l’intégration et de l’infrastructure à l’exploitation.
J’ai ainsi occupé des postes dans le consulting, le conseil, le management, le commerce, le pilotage de business unit, l’infrastructure et la cybersécurité. J’ai développé des compétences dans la direction de projets complexes et transversaux.
Pourquoi avoir choisi de devenir indépendant ?
C.M. : J’ai une appétence pour la notion de services et d’accompagnement du client. J’avais donc besoin de la concrétiser tout en ayant la possibilité de choisir mon activité et mes projets. C’est pourquoi j’ai décidé d’être indépendant et d’accompagner les entreprises qui ont besoin d’intégrer des compétences IT.
Beaucoup de PME dans l’informatique sont aujourd’hui confrontées à de multiples besoins auxquelles elles ne peuvent répondre, parce qu’elles n’ont pas des structures informatiques assez puissantes et les ressources humaines qui vont avec. Les salariés d’une entreprise peuvent avoir du mal à réunir toutes les briques que nécessitent la gestion opérationnelle d’un système informatique : production, infrastructure et sécurité.
Comment se structure votre activité en tant que DSI externalisé ?
C.M. : Je travaille pour différentes entreprises avec des actions différentes selon leurs besoins. En général, j’interviens pour prendre le relai et gérer la transition sur les sujets liés à l’informatique quand la direction informatique fait défaut. Ou alors j’arrive en appui sur la maîtrise d’ouvrage, de la conduite du changement et la direction de projets.
La transformation numérique a dû impacter votre métier, comment a-t-il évolué ?
C.M. : Oui, effectivement. Tout d’abord, les technologies ont évolué et continuent d’évoluer et nous continuons de nous adapter. J’identifie 3 sujets majeurs qui ont transformé notre métier : Internet, la mobilité et les réseaux, et maintenant l’intelligence artificielle (IA). Internet a fait qu’on est passé du centralisé au décentralisé, tout le monde est interconnecté. Concernant les réseaux et la mobilité, on est passé des stations de travail fixes à des devices, que ce soit des tablettes, des outils mobiles, des smartphones et autres. L’IA va transformer certains métiers, mais peu d’entreprises ont déjà intégré ses transformations. Les éditeurs informatiques eux vont devoir intégrer les développements de l’IA, c’est une certitude ou alors ils disparaîtront.
Au-delà de l’accélération technologique, j’observe un changement majeur dans l’organisation du travail au sein de la Direction informatique. Alors qu’avant les projets informatiques étaient décidés par la Direction générale et les services informatiques, ce n’est plus le cas aujourd’hui.
Les projets sont aujourd’hui arrêtés par les directions métiers, ce sont elles qui cadencent la transformation digitale. Le SI (Système d’information) qui était maître de son schéma directeur est maintenant au service des métiers. Nous avons changé de paradigme. La Direction informatique ne maîtrise plus son planning – j’exagère bien sûr-, mais elle a de moins en moins de latitude sur sa ligne directrice.
Dès qu’il y a un nouveau software ou de nouvelles briques technologiques, les directions métiers de l’entreprise nous demandent de les mettre en place.
Aujourd’hui, toutes les briques technologiques ont leur propre langage. Tous les 18 mois, il y a une évolution majeure ou un changement profond d’architecture, les systèmes sont impactés et il faut les mettre à jour…
Pour traduire ce bouleversement, auparavant les DSI avaient un ERP ¹ la « colonne vertébrale » informatique de l’entreprise qu’ils mettaient à jour en suivant les recommandations de l’éditeur. Aujourd’hui, les usagers ne veulent plus d’un ERP centralisé.
Ils veulent un système urbanisé qui répond à leurs besoins, interopérable, c’est-à-dire capable de s’interconnecter avec des systèmes de mobilité, des systèmes Internet, des systèmes de dématérialisation numérique, des systèmes de BI (Business Intelligence), et peut-être des systèmes d’analyse d’IA. On est passé d’un système global avec l’ERP, à un système de services. On raisonne avant tout en matière d’usage.
Cela nécessite des compétences élargies et transversales ?
C.M. : Oui. Il y a les compétences techniques de couche basse : tout ce qui concerne l’infrastructure, les couches d’interconnexion : le middleware et le système, et enfin les couches applicatives. À cela s’ajoutent des éléments transversaux, comme la couche de productivité, qu’on appelle le maintien en condition opérationnelle des systèmes, et une couche de cybersécurité. Les TPE et les PME n’ont pas forcément toutes les compétences en interne pour répondre à tous ces enjeux. Si la Direction générale considère l’IT comme stratégique, alors elle fait appel à des experts externalisés comme moi. En complément de l’IT, il y a la réglementation juridique, comme la mise en place du RGPD ² qui a poussé les entreprises à consulter des experts pour le traitement de la donnée, et donc à avoir le réflexe de faire appel à des prestataires externalisés sur des sujets où elles ne sont pas compétentes.
Quel regard portez-vous sur la dématérialisation progressive des process ?
C.M. : Nous sommes arrivés aujourd’hui au stade du zéro papier. Cela concerne aussi bien les flux entrants qui arrivent par courrier, par mail, des documents PDF, de façon déstructurée, et l’ensemble des flux sortants qui concernent en grande partie le business de l’entreprise : devis, contrats et facturation notamment.
L’objectif de la dématérialisation, c’est d’accélérer les process pour gagner en productivité et limiter les erreurs d’origine humaines qui parfois entraînent des problèmes de continuité de service. Enfin, la dématérialisation permet la traçabilité des informations. Sur ce dernier point, on en parle moins, mais c’est pourtant essentiel. Ce sont là pour moi les 3 bénéfices majeurs de la dématérialisation.
Comment les entreprises ont-elles évolué sur la dématérialisation ?
C.M. : J’ai presté pour des entreprises qui travaillaient avec les structures du secteur public et qui ont dû dématérialiser leurs factures et utiliser le portail Chorus Pro, la solution mutualisée de facturation qui a été mise en place pour tous les fournisseurs (privés ou publics) de la sphère publique (État, collectivités territoriales…) afin de répondre aux obligations légales en matière de facturation électronique.
Toutes les entreprises publiques ont donc adopté cette notion de facture en compte dématérialisé et structuré et ont mis en place des outils d’acquisition, de gestion et de transformation de cette donnée, du traitement du workflow de validation. Cela a permis aux structures publiques, mais aussi privées qui travaillent avec la sphère publique d’accélérer en termes de dématérialisation.
Une autre avancée est que l’ensemble de ces entreprises ont mis en place une GED (Gestion électronique des documents). En effet, on ne peut pas imaginer dématérialiser un événement sans le stocker. Les outils de GED permettent de stocker l’information, mais de manière structurée, de façon à avoir des données, des balises, des métadonnées, qui permettent de rechercher l’information, de la retraiter et de l’exploiter.
Parce que c’est bien beau d’avoir un flux d’entrées d’informations importantes, un capital énorme pour les entreprises, mais à mon avis sous-exploité aujourd’hui.
Il y a un axe un peu plus à la marge, mais qu’on peut citer dans la dématérialisation, c’est lorsqu’on envoie un document juridique qui a une valeur probante à un tiers, un client par exemple. Aujourd’hui, on n’imagine plus imprimer un document et l’envoyer par courrier pour obtenir une signature !
La signature électronique est devenue un outil courant. L’entreprise doit aujourd’hui intégrer cette notion de validation de documents juridiques avec son ERP, où très souvent, le document, la donnée numérique, sort de l’ERP et doit être validée avec un tiers.
Et puis arrive l’IA qui impacte la dématérialisation. Si l’entreprise traite les flux entrants, il faut aussi les analyser et les décoder. Il faut reconnaître la nature de la donnée entrante. Est-ce que c’est une demande de devis ? Est-ce une demande de documents particuliers ? L’intelligence artificielle permet de préanalyser et catégoriser la donnée.
Une fois que la donnée a été catégorisée par type, on va lire les éléments essentiels pour la structurer, la contrôler en automatique avec son ERP. De quel fournisseur s’agit-il ? Quelle est la date de facture ? À quel type d’événement correspond-elle ? On touche à la notion de contrôle automatique via les contrôles d’API 3. Les solutions technologiques permettent aujourd’hui que chaque ERP puisse contrôler une donnée en entrée, en sortie, en lecture, en écriture, grâce aux API.
Voilà à mon sens les changements majeurs qui sont intervenus ces dernières années en matière de dématérialisation et qui permettent aux entreprises de gagner en productivité et d’exploiter intelligemment les flux d’information entrants.
On parle de maîtrise des flux entrants et sortants de l’entreprise. La réforme de la facturation électronique constitue un défi pour les acteurs économiques. Où en sont-ils aujourd’hui ?
C.M. : L’entrée en vigueur de la réforme est prévue au 1er septembre 2026. Alors que les grands groupes ont déjà anticipé cette évolution, les PME et les ETI qui travaillent sur un horizon court-termiste – en général 12 mois – n’ont pas encore pour la plupart initié ce chantier, à tort d’ailleurs.
Sur la réforme de la facturation électronique, je conseille aujourd’hui aux PME d’anticiper en s’appuyant sur des partenaires experts. Ils vont leur permettre de structurer la donnée – obligation de la réforme -, mais surtout de l’intégrer à leur SI pour ensuite l’exploiter.
Pour l’État, l’objectif de cette réforme est d’avoir une transparence des flux et réduire la fraude à la TVA. Pour les sociétés, cette réforme est une opportunité majeure pour accélérer les process de dématérialisation. Ce n’est pas une contrainte, mais au contraire un accélérateur de la transformation numérique. Les PME doivent dès maintenant anticiper la dématérialisation et la budgéter, dans 5 ans il sera trop tard…. De toute façon, l’environnement métier et l’évolution des législations nationales, européennes et internationales, font qu’elles n’ont plus vraiment le choix … Il faut simplement organiser cette évolution.
Encore une fois, il faut voir dans cette réforme une opportunité de stocker intelligemment et d’exploiter la donnée et ainsi mettre en place une GED. Structurer la donnée entrante c’est bien, mais il faut ensuite la faire vivre. Prenez l’exemple d’une facture. Elle possède un cycle de vie rythmé par des événements : vérification à la demande du client, règlement différé, relance, litige …
LIVRE BLANC
Passer à la facturation électronique,
cadrage du projet
Comment voyez-vous votre métier évoluer dans les prochaines années ?
C.M. : C’est une question difficile. On assiste à une « cloudification » du système d’information qui va se complexifier à mesure qu’il se structure. Prenez l’IA, c’est une nouvelle couche qu’il va falloir intégrer au système, c’est en ce sens que je parle de complexité grandissante. Avec l’IA, de nouvelles problématiques de type juridiques vont se créer pour exercer un contrôle sur sa mise en œuvre …
Par conséquent, le DSI ne pourra plus tout gérer seul, il devra s’appuyer sur des partenaires stratégiques. J’entends par « stratégiques » des entreprises qui ont les moyens de développer des solutions et produits sur le long terme. Nous ne sommes plus à l’époque de la prestation « jetable », c’est fini !
En effet, les évolutions sont si rapides qu’il faudra s’appuyer sur des partenaires qui ont une vision du marché à long terme et qui proposent des solutions sécurisées. Notre métier consistera alors à gérer les relations avec le prestataire, veiller à une bonne intégration de ses services au sein du SI de l’entreprise.
Beaucoup de services informatiques sont délocalisés à l’étranger (cloud, services de niveau I, maintien en conditions opérationnelles …). Or, on se rend compte que les différences de culture, les échanges à distance quand il y a des problèmes à régler, représentent un certain coût. Le gain économique final est léger avec une certaine insatisfaction. Je pense donc que les entreprises vont réinternaliser et concentrer certaines prestations, notamment pour la gestion de leur SI. D’où l’importance, je le répète, de s’adosser avec de bons partenaires qui maîtrisent chaque complexité de brique technologique. Donc oui, notre métier va continuer de se transformer comme nous experts informatiques continuons d’évoluer, depuis une trentaine d’années en ce qui me concerne 😊
Merci Christian d’avoir répondu à nos questions !
(1) ERP : « Enterprise Resource Planning ». Un système ERP est un type de logiciel que les entreprises utilisent pour gérer des activités quotidiennes et variées : comptabilité, achats, gestion de projets, gestion des risques et conformité, etc.
(2) RGPD : « Règlement Général sur la Protection des Données ». Texte réglementaire européen qui encadre le traitement des données de manière égalitaire sur tout le territoire de l’Union européenne (UE). Il est entré en application le 25 mai 2018. Le RGPD s’adresse à toute structure privée ou publique effectuant de la collecte et/ou du traitement de données.
(3) API : « Application Programming Interface », est un ensemble de règles et de protocoles qui permettent aux programmes informatiques de communiquer entre eux. Les API sont conçues pour faciliter l’accès à certaines fonctionnalités ou données d’une application sans avoir besoin de connaître tous les détails de son fonctionnement interne.