La Directive européenne ViDA : comprendre la « TVA à l’ère du numérique »

Directive ViDA

Dans un contexte où la fraude et l’évasion fiscale pèsent lourdement sur les recettes fiscales européennes, la directive ViDA (VAT in the Digital Age) s’impose comme une réforme majeure en matière de TVA pour les États membres de l’Union européenne. À l’image de la réforme de la facturation électronique en France, le projet vise non seulement à pousser les pays membres de l’espace européen à moderniser le système actuel de facturation, mais aussi à offrir aux États membres les outils nécessaires pour combattre efficacement les écarts de TVA. Cet article présente ViDA, les avantages à attendre de cette Directive, ainsi que la mise en place d’un calendrier prévisionnel qui se précise à la suite de l’accord signé le 5 novembre dernier, à l’occasion de la réunion du Conseil « Affaires économiques et financières » (Ecofin), réunissant les ministres de l’Économie et des Finances de tous les États membres.

Qu’est-ce que la directive ViDA et à quoi sert-elle ?

La directive ViDA, ou « TVA à l’ère du numérique », est un projet ambitieux initié par l’Union européenne pour moderniser la collecte de la TVA. Elle s’inscrit dans le cadre d’une réforme plus large visant à rendre le processus de déclaration et de paiement de la TVA plus transparent, sécurisé et efficace. En 2023, les écarts de TVA atteignent des sommes colossales : plus de 9,5 milliards d’euros en France, 2,5 milliards en Belgique, et environ 14,6 milliards en Italie, pour un total de 61 milliards d’euros de manque à gagner en Europe​.

ViDA repose sur 3 piliers principaux :

La facturation électronique : ViDA prévoit d’imposer l’utilisation de la facture électronique au sein de l’Union européenne, en remplaçant les formats PDF actuels par des factures structurées, selon la norme EN16931. Ce système devrait permettre une transparence accrue et faciliter les contrôles. L’idée est de généraliser l’e-invoicing et aussi d’instituer des obligations en matière d’e-reporting pour limiter la fraude à la TVA.

La déclaration numérique en temps réel (DRR) : les transactions commerciales seront enregistrées de manière numérique et en temps réel, ce qui devrait permettre une traçabilité optimale des transactions intra-UE.

Le guichet unique (OSS-IOSS) : ce système simplifie les enregistrements TVA pour les entreprises opérant dans plusieurs pays de l’UE. Grâce au guichet unique, elles ne devront s’immatriculer qu’une seule fois, peu importe le nombre de pays avec lesquels elles réalisent des transactions commerciales.

Le cas particulier des plateformes de mise en relation

La directive ViDA se veut être une réponse proactive aux défis posés par les plateformes internationales de mise en relation qui facilitent la réalisation de transactions commerciales entre individus. Aujourd’hui, de nombreux fournisseurs de services de location de logements et de transport de voyageurs en ligne échappent à la TVA. Cette situation s’explique en grande partie parce que ces prestataires sont souvent des individus (comme un conducteur ou un particulier louant son logement) ou de petites entreprises. Ceux-ci ne sont généralement pas soumis aux obligations d’enregistrement à la TVA, ou bien, ils ignorent fréquemment les règles fiscales en vigueur dans d’autres États membres. Cela entraîne un manque à percevoir considérable en matière de TVA et crée parfois une situation de concurrence déloyale entre les services traditionnels d’hébergement et de transport et ceux proposés via des plateformes en ligne.

Par conséquent, un des points essentiels de la Directive ViDA vise à rendre les plateformes en ligne comme des entités responsables des achats et des reventes de certains biens et services. Leur implication dans la gestion de la TVA sera donc renforcée.

En outre, les marketplaces devront utiliser le guichet unique IOSS, facilitant ainsi les démarches fiscales des vendeurs en ligne et assurant le respect des obligations fiscales. En outre, la directive met fin au régime de stocks sous contrat de dépôt, une mesure visant à limiter l’utilisation abusive des numéros d’identification de TVA.

Quels avantages s’attend-on à tirer de la directive ViDA ?

Outre la fraude à la TVA qui représente une perte importante pour les États membres de l’Union européenne et que nous avons évoquée, ViDA apporte une modernisation essentielle à la gestion de la TVA à l’échelle européenne, avec plusieurs avantages majeurs :

Simplification administrative : Les entreprises bénéficieront de procédures allégées grâce à l’introduction de la facturation électronique et du système d’e-reporting. Le guichet unique (OSS) leur permettra de déclarer la TVA dans tous les États membres via une seule inscription, réduisant ainsi les démarches administratives.

Adaptation à l’économie numérique : En tenant compte des spécificités des plateformes d’e-commerce, ViDA responsabilise ces acteurs pour la collecte de la TVA. Cette mise à jour garantit un cadre fiscal adapté aux nouvelles formes de transactions numériques.

Facilitation des échanges transfrontaliers : La directive vise à harmoniser les règles fiscales et à rendre les systèmes interopérables entre les pays de l’UE. Cela simplifie les transactions internationales et améliore la transmission des informations entre administrations fiscales, réduisant ainsi les complexités pour les entreprises opérant dans plusieurs pays.

Avec ViDA, l’Union européenne se dote d’un outil moderne pour répondre aux défis de la fiscalité à l’ère numérique.

Les décisions du 5 novembre 2024 : un accord historique

La réunion du Conseil ECOFIN du 5 novembre 2024 a marqué une étape cruciale pour la directive ViDA. En effet, après plusieurs reports et ajustements, les États membres de l’UE ont enfin trouvé un consensus politique sur l’ensemble des dispositions de la directive. Ce consensus marque une avancée significative pour la réforme de la TVA et fixe les grandes lignes d’un calendrier de déploiement. Voici les 3 grands volets concernés par la directive à retenir : 

1. Généralisation de la facture électronique et du e-reporting dans les États membres :

  • 2025 (20e jour suivant la publication de la directive) : dès cette date, les États membres auront la liberté d’imposer la facturation électronique sans devoir solliciter d’approbation au préalable de l’Union européenne, ce qui incite les pays à accélérer sur la dématérialisation des factures au format électronique.

→ Et : l’émission de factures électroniques ne seront plus soumises à l’accord du client : par conséquent, les entreprises devront pouvoir accepter les factures électroniques en fonction du calendrier fixé dans chaque pays. En France, la DGFiP a fixé au 1er septembre 2026 l’obligation pour l’ensemble des entreprises de recevoir des factures au format électronique.

  • 1er juillet 2030 : Obligation de e-invoicing et de e-reporting pour les opérations intracommunautaires (B2B et B2G) ;
  • Janvier 2035 : harmonisation des régimes nationaux de e-invoicing et de e-reporting avec la norme de l’UE

Un nouveau système de déclaration numérique (e-reporting) sera instauré au niveau européen, remplaçant les anciens états récapitulatifs européens de biens (DEB) et de services (DES). Ce dispositif obligera les assujettis à transmettre des données électroniques pour les transactions suivantes :

les livraisons et acquisitions intracommunautaires de biens ;

les transferts de biens propres entre États membres de l’UE (non déclarés via le futur « guichet unique » prévu par cette réforme) ;

les livraisons et acquisitions de biens et services soumis au mécanisme d’autoliquidation domestique, lorsqu’ils ne sont pas exonérés de TVA.

Ces données devront être déclarées transaction par transaction, dès que la facture électronique est émise ou aurait dû l’être, sauf exceptions spécifiques.

Les États membres pourront, sous certaines conditions, permettre aux entreprises de ne pas déclarer les données relatives à leurs acquisitions intracommunautaires de biens ou à leurs achats de biens et services soumis au mécanisme d’autoliquidation domestique. En outre, ils auront également la possibilité d’imposer une obligation de e-reporting pour des transactions non couvertes par le cadre européen, à condition de respecter certaines règles. 

2. Encadrement des règles de TVA applicables aux plateformes de mise en relation

Pour les services d’intermédiation fournis par un assujetti à des clients non professionnels (B2C) via une plateforme ou interface électronique, le lieu de taxation à la TVA correspondra à celui de la transaction sous-jacente.

→ Application du mécanisme de « fournisseur présumé » aux plateformes facilitant la mise en relation entre un prestataire de services et des clients, en particulier pour ce qui concerne la location d’hébergements de courte durée (maximum de 30 nuits) ou les services de transport de passagers (route). Le service réputé rendu par le fournisseur sous-jacent à l’opérateur de plateforme sera exonéré de TVA. Le service réputé rendu par l’opérateur de plateforme au client final sera, en principe, taxable à la TVA.

La mise en place de la règle du « fournisseur présumé » :

  • facultative à partir du 1er juillet 2028 ;
  • obligatoire à partir du 1er janvier 2030.

3. Élargissement du guichet unique & simplification des obligations déclaratives en matière de TVA

  • 1er janvier 2028 : le régime One Stop Shop (OSS) sera élargi pour inclure les fournitures de biens B2C suivantes :

→ les transferts de biens propres (le régime des stocks en consignation seraient progressivement supprimé sur une période de 12 mois) ;

→ les livraisons de biens nécessitant une installation ou un assemblage ;

→ les ventes de biens réalisées à bord de navires, d’avions ou de trains ;

→ les livraisons domestiques de biens.

  • 1er janvier 2028 : généralisation du mécanisme d’autoliquidation.

Le mécanisme d’autoliquidation, dans le cadre de la directive ViDA, est une procédure fiscale permettant de simplifier le paiement de la TVA dans certaines situations. Il consiste à transférer l’obligation de déclarer et de payer la TVA du vendeur au client. Ce dispositif est déjà utilisé dans de nombreux cas spécifiques, mais la directive ViDA vise à l’harmoniser et à le généraliser davantage à l’échelle européenne.

Ce mécanisme s’applique généralement dans des cas où le vendeur et l’acheteur se situent dans des pays différents au sein de l’Union européenne, ou pour des transactions spécifiques comme les achats de biens et services soumis au régime d’autoliquidation domestique.

Pour les ventes intracommunautaires de biens et services entre entreprises (B2B), le mécanisme d’autoliquidation évite au vendeur de devoir s’immatriculer à la TVA dans le pays du client. L’acheteur assujetti calcule lui-même la TVA applicable selon les règles de son propre pays, puis la reverse directement à son administration fiscale.

→ La directive ViDA prévoit d’intégrer et de renforcer le mécanisme d’autoliquidation pour certaines transactions, notamment :

  • Les acquisitions intracommunautaires de biens et services non exonérés de TVA ;
  • Les achats nationaux soumis au mécanisme d’autoliquidation domestique, si les États membres choisissent d’appliquer cette mesure.

Les États membres auront également la possibilité, sous conditions, d’exempter certains assujettis de l’obligation de soumettre des données via le nouveau système de déclaration numérique (e-reporting) pour ces transactions.

La directive ViDA marque un tournant dans la gestion de la TVA en Europe. En adaptant les procédures fiscales à l’ère numérique, l’Union européenne cherche à renforcer la lutte contre la fraude et à harmoniser les régimes de facturation et de déclaration des transactions commerciales. Les décisions prises lors du Conseil ECOFIN du 5 novembre dernier constituent une étape majeure pour l’adoption de cette directive, dont la mise en place débutera dès 2025 et s’étalera jusqu’en 2035.

Pour les entreprises, ViDA représente un défi technologique et administratif, mais elle ouvre également la voie à une transparence accrue et à des processus plus efficaces. Avec cette directive, l’Union européenne met l’accent sur une TVA moderne, adaptée aux défis du commerce numérique, et se dote des moyens pour combler les écarts fiscaux.

Docoon est officiellement immatriculé PDP